A CE STADE DE LA NUIT
Résumé :
Le 3 octobre 2013, un navire venu de Libye débordant de réfugiés sombre au large de l'île de Lampedusa, faisant plus de 300 victimes. Maylis de Kerangal est dans sa cuisine, seule. C'est la nuit. Elle écoute la radio, le drame, les victimes. Imperceptiblement son esprit se détache de la réalité, se laisse emporter par un mot qui s'impose à son insu : Lampedusa. Immédiatement, c'est le visage de Burt Lancaster qui s'invite.
Quel rapport avec la catastrophe ? Il est le prince Salina di Lampedusa du Guépard de Visconti, film adapté de l'unique roman de Guiseppe Tomasi di Lampedusa qui raconte le déclin de l'aristocratie sicilienne au début du XXe siècle. Aux images de naufrages, Maylis de Kerangal superpose celles, baroques et crépusculaires, du célèbre long-métrage. Et se dessine la silhouette de Burt Lancaster en noble sicilien, lui le comédien né à New York de parents anglo-irlandais.
Prince et migrant à la fois... Comme le flux et le reflux qui charrient les corps des noyés, Maylis de Kerangal repasse par sa cuisine où, "à ce stade de la nuit", son poste de radio poursuit le lancinant récit du drame avant qu'à nouveau, elle se laisse prendre par le souvenir d'autres îles, Stromboli à la "sensualité fatale" évoquée dans une ardente nouvelle
Lampedusa : deux planètes à leur point de friction ? Ou la même humanité à son point de jonction ? Avec ce texte court à l'écriture précise, subtile, presque douce, l'auteure invoque la magie des mots, et leur puissance évocatrice permet de faire vibrer, a posteriori, tout son parcours romanesque autrement, depuis Ni fleurs ni couronnes jusqu'à Réparer les vivants. Il est rare qu'en tentant de mettre à nu son art poétique, un écrivain parvienne si bien à condenser la trajectoire d'une écriture et à faire oeuvre à part entière.